Notre Bateau ivre
- Fanny Melot
- 28 oct.
- 3 min de lecture
Pour rentrer à la maison, nous avons quelques défis à relever.
Le premier : quitter les Cyclades et contourner le Péloponnèse en évitant les dépressions qui s’enchaînent. En météo, comme chez l’être humain, les dépressions, on n’aime pas ça!

Et là, on a eu une fenêtre : environ 50 heures avant la prochaine dépression.
On réfléchit, on analyse, on appelle Joe, qui nous suit de près depuis qu’on est en mode navigation intensive.Tout est au vert, alors on fonce!
On décide de faire Naxos–Zanté d’une seule traite.
267 milles nautiques, et comme le dit si bien France Gall : « C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous, ça veut dire beaucoup. »
La première journée était splendide : soleil, petit vent, dauphins, mer calme… le pied!
Là, je me dis : « Moi, je fais Naxos–Imperia sans problème, d’une seule traite. »
Héhé, elle est mignonne…

Vient la nuit — tintintin (c’est pour mettre un peu de stress).
La mer se forme et ça devient pénible, si pénible qu’on n’arrive pas à dormir.
Ce n’est pas faute d’essayer.

Fanny : « Allez petit cerveau, faut dormir maintenant, mode veille s’il te plaît. »
Cerveau : « Ça bouge beaucoup ici quand même… c’est pas normal… »
Fanny : « Mais si, c’est normal, tu es sur un bateau. Allez, chut ! Dors ! »
Cerveau : « … »
Fanny : « Merci. »
Cerveau : « Nan mais quand même, c’est pas normal, Fanny, faut pas que tu dormes! »
Fanny : « Il m’énerve, il m’énerve, il m’énerve ! »
Voyez l’idée ?
Autant vous dire que le lendemain matin, on n’était pas bien frais.
Mais pas le temps d’y penser : on arrive au sud du Péloponnèse, et là, les amis, c’est pas de la rigolade!

Beaucoup de vent, zou, tout le monde sur le pont! On doit réduire la voilure, et ça secoue, ça je peux vous le garantir. Les vagues deviennent de plus en plus grosses.
Pilotage automatique ? Pas question d’y penser.
Au vu des conditions, ça force trop sur la mécanique.
Le pilote auto, il faut le voir comme la troisième personne à bord : ça aide drôlement bien.
Mais là, non. Et il reste 24 heures…

Le vent et les vagues arrivent par l’arrière, ce qui est une bonne chose.
Andy, lui, on dirait qu’il s’éclate ! Je crois même qu’il était de connivence avec les vagues.
Deuxième nuit.
On se relaie toutes les trois heures. On dort par miettes, mais on dort.
Deux heures du matin, je prends mon quart.
La nuit est sans lune.
J’entends la mer, mais je ne la vois pas. Tant mieux, je me dis — parce que vu ce que je ressens dans la barre, les vagues doivent être impressionnantes.

Mais ce n’est pas la peur qui m’habite.
À la barre d’Andy, dans l’obscurité, je me sens ivre…Ivre de fatigue, c’est vrai, et ivre parce que je ne peux pas tenir debout sur ce bateau qui nous secoue. Mais l’ivresse venait aussi de cette immensité !
Je ressentais la puissance de la mer dans mes bras ; il en fallait, de la force, pour maintenir Andy! Et ce ciel… Vous auriez vu ce ciel! Entre deux vagues, je voyais passer des étoiles filantes.
Je ne me sentais pas spectatrice : j’étais là, bien présente, faisant partie de ce tout.
C’était incroyable!
Andy, notre bateau ivre, à nous.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la mer, infusé d’astres, et lactescents,
Dévorant les azurs verts; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend.
(Le Bateau ivre, extrait – Arthur Rimbaud)
La bise à tous



Hé bein, vue comme ça .
Sa devait pas être de la tarte en plus quand t'as pas le choix mais enfin sa fera de bonnes choses à raconter.
En tout ca grand respect pour nos 2 intrépides skipper.
Gros bisous de Bretagne
Marin, Marinette et Andy 🫡
C'est la première je crois, depuis que je suis votre périple, que je ressens autant la tension de la situation. La photo de nuit, qui j'imagine est loin d'être révalatrce de la tempête du moment est fort inquiétante . 😱
Ce récit est d’une intensité particulière. On y sent la fatigue, la concentration, mais aussi cette communion totale avec la mer. Vous réussissez à nous faire vivre l’expérience de l’intérieur, sans fard, simplement en partageant ce que vous ressentez.
Le dialogue avec “le petit cerveau” m’a fait sourire 😄 on sent à quel point l’humour reste votre meilleur allié, même quand les vagues se déchaînent.
J'ai aimé la façon dont vous nous parlez d'Andy, on…